Bassin Jacqueline

Il était une fois une jeune fille appréciée de tous, qui s'appelait Jacqueline. Elle aimait aller se baigner dans un grand et magnifique bassin à quelques pas de chez elle. Elle s'y rendait souvent car elle s'y sentait bien. Un jour, de bon matin, elle se réveilla et eut envie de se rendre au bassin pour y passer la journée. Le bassin était calme. On entendait le chant des oiseaux, et dans l'air flottait le parfum des fleurs. Elle monta sur une roche et se prépara à sauter, mais un drôle de pressentiment envahit son esprit. L'eau était plus sombre qu'à son habitude et elle vit au fond de l'eau un mouvement étrange semblable à celui d'un tourbillon. Puis, brusquement, elle se sentit étourdie et tomba à l'eau. Elle coula comme une pierre, directement au fond du bassin.

À la nuit tombée, voyant que Jacqueline ne revenait pas, ses parents, inquiets, partirent à sa recherche. Ils se rendirent au bord du bassin que leur fille aimait tant. Sur place, ils trouvèrent son cabas avec toutes ses affaires, mais aucune trace de leur fille. Ils décidèrent alors de descendre le long de la rivière pour essayer de retrouver Jacqueline, mais ils ne la trouvèrent pas. Ils revinrent au bassin, complètement désespérés. Le père en pleurs se pencha alors pour effleurer l'eau de sa main. En la remontant, il vit que des cheveux noirs, semblables à ceux de sa fille, s'étaient enroulés autour de ses doigts. Il sauta immédiatement à l'eau et plongea au fond du bassin pour tenter de la retrouver. Mais l'obscurité rendait toute recherche impossible. Ils durent abandonner et rentrèrent chez eux.

Au matin, à la première heure, les deux parents allèrent prévenir tous leurs voisins pour qu'ils les aident à retrouver Jacqueline. Pendant des heures, plusieurs nageurs fouillèrent le fond du bassin à la recherche d'un corps. Mais ils ne trouvèrent rien. Cependant, en les voyant sortir de l'eau, la sœur de la disparue remarqua que les plongeurs avaient de longs cheveux noirs enroulés autour de leurs chevilles. Tous les habitants , sans exception, constatèrent qu'elle avait raison. Une angoisse terrible envahit tous les esprits. Les parents de Jacqueline, complètement désemparés, affirmèrent que ces cheveux étaient ceux de leur fille. Mais que signifiait cet étrange phénomène ? Qu'était devenue la jeune fille ? Était-elle morte ou était-elle prisonnière d'un esprit malfaisant ? Après un long silence, les gens se remirent à parler. Ils tentèrent de comprendre ce que signifiait ce prodige. Et, à la fin, tout le monde s'accorda pour dire que Jacqueline était morte. Le père et la mère rentrèrent chez eux pour annoncer à toute la famille le décès de Jacqueline. Le lendemain, les yeux remplis de larmes, le père fit installer une tombe près du bassin .

Pendant des années, les gens vinrent s'y recueillir pour rendre hommage à la jeune disparue. Personne n'osait plus se baigner dans le bassin, car tous avaient à l'esprit l'affreuse mort de Jacqueline. Son père, lui, venait chaque matin déposer des fleurs sur la tombe, nettoyer les mauvaises herbes, et couper les branches des arbres les plus envahissants. Il profitait de ces instants pour repenser aux bons et joyeux moments passés avec sa fille. Quand il mourut, plus personne ne vint pour déposer de fleurs sur la tombe ou entretenir les berges du bassin. L'endroit, envahi par la végétation devint sombre et lugubre.

Un jour, un étranger vint s'installer dans la région. Alors qu'il se promenait un matin, le long de la rivière, il crut entendre une petite musique derrière des arbres. Il s'approcha et découvrit le bassin. Il lui sembla alors que quelqu'un s'agitait au milieu de l'eau. La musique s'était tue : une main sortit de l'eau. Sans réfléchir, l'étranger plongea dans le bassin, persuadé que quelqu'un était en train de se noyer. Alors qu'il approchait de l'endroit où la main était sortie, il vit une femme avec des cheveux noirs et une tunique blanche, sous l'eau, à quelques mètres de ses pieds. Il se sentit paralysé par la peur. Elle se rapprocha de lui, en ondulant comme un serpent, et lui saisit le pied. L'étranger se sentit brusquement attiré au fond. Il s'agita dans tous les sens et réussit à délivrer sa jambe de cette étrange créature. Il nagea jusqu'à la berge et sortit rapidement de l'eau. En voulant s'enfuir en courant, il trébucha contre une pierre et tomba lourdement. En se redressant, il s'aperçut que l'obstacle qui l'avait fait chuter, était en réalité une tombe recouverte par une épaisse végétation. Bouleversé, il arracha les mauvaises herbes qui recouvraient la tombe et découvrit un portrait de la défunte. Il la reconnut immédiatement ; c'était le visage de la créature qui avait voulu l'entraîner au fond du bassin. Sur ses épaules, de longs cheveux noirs lui collaient à la peau et sa jambes était couverte de griffures profondes qui saignaient. Il partit alors en direction de chez lui et, sur la route, il s'écroula comme frappé par la foudre. Un habitant du village qui passait par là, le trouva mort. Il vit que ses habits étaient trempés et que son pantalon avait été lacéré par des griffes. Quand il rentra au village, avec le corps de l'étranger, tout le monde se mit à reparler de la mort de Jacqueline.

Depuis ce jour-là, on appelle ce bassin le "bassin Jacqueline", et certains réunionnais prétendent que chaque fois qu'un homme seul part se baigner dans ses eaux, soit il meurt, soit il parvient à se sauver le corps couverts de griffures et d'épais cheveux noirs.