• Bassin Boeuf, par Tony Francomme

     

    BASSIN BŒUF

     

    Cette histoire commença une nuit où le volcan entra en éruption. Sa lumière maléfique enflammait le ciel, et l'île toute entière semblait sous son emprise.

    Un vieil homme, nommé Thomas, possédait un troupeau qui était son unique richesse. Parmi ses bêtes se trouvait une vache qui lui avait déjà offert plusieurs petits, tous aussi vigoureux les uns que les autres. Quand le volcan entra en éruption, elle portait dans ses entrailles un jeune veau qui pouvait naître à tout moment. Au lever du jour, Thomas dut se rendre en urgence dans son étable en entendant sa vache gémir de douleur. Il l'aida à mettre bas et fut très heureux en la voyant accoucher d'un jeune mâle entièrement blanc dont les sabots paraissaient déjà solides comme de la roche.

    Ce veau était le seul mâle blanc de son troupeau. Le vieil homme le prit en affection et lui consacra tout son temps libre pour qu'il ne manque de rien. Il s'occupait de lui tant qu'il pouvait, car il sentait que cet animal était unique. Et il avait raison ! Ce jeune mâle était beaucoup plus intelligent que la normale, il faisait tout ce que le vieil homme attendait sans que celui-ci n'ait besoin de parler.

     

    Sa force était colossale, il pouvait tracter des charrettes très lourdes à lui tout seul, et il galopait aussi vite qu'un mustang pur sang. Très vite le village entier partagea l'admiration du vieil homme. La réputation de son prodigieux animal se répandit dans tout le pays.

    Un jour un homme très riche se rendit au village, attiré par les histoires merveilleuses qu'il avait entendues sur le taureau. Il alla trouver le vieil homme et lui révéla sans détour l'objet de sa visite : «Bonjour, je souhaite acheter votre beau taureau. Quel est son prix ? »

    Le vieil homme répondit aussitôt que son bœuf n'était pas à vendre. Mais le riche visiteur ne se découragea pas et proposa des sommes d'argent de plus en plus déraisonnables. Le vieux ne céda pas.

    L'homme riche était dépité ,mais aussi plus déterminé que jamais. Il avait vu le fameux taureau, et sa première impression n'avait fait que confirmer les rumeurs qu'il avait entendues.

     

     

    Il revint deux jours plus tard, cette fois la nuit, avec trois hommes de main qui lui étaient dévoués. Ils voulurent s'introduire dans l'enclos, mais l'animal, qui les avait entendu s'approcher se mit à pousser des mugissements terribles qui réveillèrent son propriétaire. Le vieil homme sortit de chez lui et surprit les quatre malfaiteurs. L'homme riche demanda alors à l'un de ses hommes de main de l'abattre, et, alors que le vieil homme s'était retourné pour courir vers sa maison, il fut abattu d'une balle dans le dos. Les quatre hommes retournèrent près de l'enclos et parvinrent à ouvrir la barrière. Ils entendirent alors des sabots battre violemment le sol, et aperçurent, semblable à un éclair, une masse blanche foncer sur eux. Les hommes de mains eurent le réflexe de s'écarter, mais pas leur patron. Le taureau le percuta de plein fouet, brisant ses côtes et le propulsant dans les airs. Puis il le piétina avec fureur. Les hommes de main tentèrent d'abattre le bœuf pour sauver leur patron, mais aucune balle ne parvint à blesser l'animal. Celui-ci fonça tête baissée se réfugier dans la forêt. Après plusieurs minutes d'une course effrénée, il trouva refuge près d'une chute d'eau, au bord d'un bassin.

     

     

     

    Deux jours passèrent. Au troisième jour, poussé par la faim, le taureau attendit la nuit pour se rendre au village et détruisit plusieurs potagers. Le lendemain matin, le village entier était en émoi. Plusieurs de ses habitants, en découvrant les ravages causés par l'animal, reconnurent les traces de sabots du merveilleux taureau blanc qui avait disparu. Ils se réunirent pour discuter et prirent la décision de ne rien entreprendre. Il gardait pour le taureau une affection que l'assassinat du vieux monsieur n'avait fait que renforcer.

     

    Cependant, le taureau recommença, de plus en plus souvent. À mesure que le temps passait, il semblait être devenu furieux et ne se contentait plus de ravager les potagers. Il se mit à détruire des granges entières, à enfoncer les portes des maisons. Un soir, un villageois fut réveillé par un bruit fracassant. Il sortit de sa chambre avec une lanterne à la main et tomba nez à nez avec le taureau furieux dont les lèvres écumantes étaient rouge-sang.

     

     

     

    Cette intrusion fut celle de trop. Les villageois en colère décidèrent, armés de fourches et de fusils, de suivre les traces de sabots qui s’enfonçaient dans la forêt. Ils marchèrent alors de longues heures et se retrouvèrent devant un magnifique bassin. Un bruit semblable au tonnerre se fit alors entendre. Le bœuf jaillit soudain d'un bosquet et renversa une demi dizaine de paysans : trois d'entre eux ne se relevèrent pas. Le taureau chargea de nouveau, encornant mortellement plusieurs paysans et propulsant les autres sur les rochers de la rivière qui leur brisèrent les os. L'animal lutta ainsi durant de longues minutes, totalement insensible aux balles que plusieurs villageois tirèrent sur lui, comme s'il était invulnérable. Au bout de quelques minutes, il ne restait plus personne. Certains villageois agonisaient dans le lit de la rivière, d'autres étaient parvenus à se réfugier dans un arbre. Le taureau se rapprocha alors d'une torche qui gisait sur le sol. Du museau, il la poussa sur le feuillage qui entourait l'arbre, et celui-ci prit feu. Chaque fois que l'un des hommes sautait de l'arbre pour tenter de s'échapper, le taureau le rattrapait sans peine et lui infligeait des coups de cornes et de sabots qui le blessaient mortellement.

     

     

     

    Aucun des villageois de l'expédition ne revint jamais au village. On chargea le lendemain un homme courageux de retrouver leur trace. Celui-ci rentra le soir-même et raconta à tous le carnage qu'il avait découvert.

     

    La nuit vint, et plusieurs habitants entendirent des bruits de sabots, de bois qui craquait et des mugissements semblables au tonnerre. Mais aucun d'eux ne se risqua à sortir de chez lui. Le lendemain, tous les villageois furent atterrés par les dégâts qu'ils découvrirent mais aucun ne fut assez fou pour se risquer à une nouvelle expédition.

     

    Le village apprit à vivre avec la peur de ce monstre terrible dont les attaques s'espacèrent avec le temps, jusqu'à cesser définitivement.

     

    Cinq ans, jour pour jour, après la dernière attaque, les villageois se réunirent. Ils décidèrent d'envoyer un petit groupe explorer le bassin où s'était déroulé le carnage perpétré par le taureau furieux quelques années plus tôt, et qui était encore dans toutes les mémoires.

    Ceux qui partirent dirent adieu à leurs proches, craignant de subir comme leurs aînés la fureur du taureau. Ils quittèrent le village à l'aube et s'enfoncèrent dans la forêt en longeant la rivière. Parfois ils apercevaient sur des rochers l'emprunte d'un sabot gigantesque et la peur envahissait alors toute la petite troupe. Mais ils ne remarquèrent aucune de ces traces dans la terre, comme si le bœuf n'avait plus visité ces régions depuis plusieurs mois. Ils arrivèrent bientôt à proximité du bassin et se mirent à avancer prudemment, leurs armes à la main. Enfin, l'un d'eux aperçut une masse blanche au pied de la cascade. Il s'agissait d'une bête colossale dont la taille n'avait pas d'équivalent. C'était le taureau qui était devenu vieux et qui ne réagit même pas en les voyant s'approcher. Il était devenu totalement inoffensif et semblait attendre paisiblement la mort. Les hommes l'entourèrent et furent tellement éblouis pas sa taille formidable qu'ils décidèrent de l'épargner. Ils rentrèrent au village pour avertir tous les habitants que le taureau était désormais inoffensif, et les villageois décidèrent à l'unanimité de baptiser le bassin en hommage au vieux taureau. C'est depuis cette époque, que ce bassin est donc appelé « bassin boeuf ».

     


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